Du calme

Jeunesse 1938 ?

 

Nous voudrions que les récents événements internationaux servissent de leçon de mesure, car à la règle de mesure on a bien souvent manqué dans la presse. Quels bruits autour des voyages diplomatiques ! Dans cette atmosphère de fièvre, il n'est plus de politique qui tienne. Jamais pourtant le besoin ne fut si grand de calme et de maîtrise de soi. Et je ne parle pas ici des gouvernements, mais de l'opinion, et l'opinion c'est nous tous. Chaque mot que nous prononçons a sa résonance. La discussion sur ces choses est si fréquente que nous avons tous nos responsabilités. Nous nous hâtons pourtant de prendre parti et de commenter à notre façon des événements que nous ne connaissons guère. Quelle mission de faiseurs de calme nous aurions pourtant, nous chrétiens ! La cité se meurt dans l'agitation, les parti-pris, les jugements hâtifs. C'est un des secrets d'une crise politique qui n'est d'ailleurs qu'une crise morale.

Faisons le point de ce dernier mois. Il est assez simple. Visite à Berschtesgarten de Lord Halifax. Immédiatement on fait courir les bruits les plus étranges. Les Italiens crient (dans le secret de leur cœur) à la trahison pendant que des français s'émeuvent. L'affaire ne valait pas tant de commentaires. En dépit de l’abscisse désordonnée dont l'axe Rome-Berlin barre l'Europe des contacts peuvent se nouer. On a beaucoup rappelé la visite de Lord Halifax à Berlin en 1914 ! Non... Du calme. Depuis le temps que M. Hitler fait des discours il ne serait pas mauvais qu'on sache un peu ce qu'il veut dire. Et l'axe Rome-Berlin n'est pas si solide, c'est par l’Allemagne qu'il cassera... Les Anglais ont dû vouloir en vérifier la solidité.

Après le ballon de l'Ukraine, après le ballon de l'Anschluss momentanément rattrapé pour ne pas déplaire à l'Italie, le Reich lance le ballon « colonies ». Ballons d'essai... Nous ne pouvons pas savoir ce qui s'est dit en Bavière devant un des plus beaux paysages qui puisse se rêver. Hitler a dû faire un certain marchandage. Autriche ou colonies, pendant que le Ministre Anglais s'abstenait soigneusement de rien promettre ni même laisser entendre. Quoi qu'il en soit, on ne doit pas s'en émouvoir puisque MM. Delbos et Chautemps vont à Londres et que toutes ces questions vont y être discutées. Ce qui ressort de cette petite agitation, c'est la fermeté du lien franco-britannique, fermeté qui sans doute impressionne l'Allemagne, et soulève en tout cas contre notre pays une singulière mauvaise humeur de la presse italienne. Ces perpétuels articles contre le gouvernement français deviennent un peu lassants et il arrive un temps où la fictive distinction du pays réelle et du pays légal n'empêche personne de se sentir offensé. Il faut qu'on s'en souvienne. On est beaucoup plus solidaire qu'on ne le croit devant l'étranger.

Ici encore gardons notre calme... En politique étrangère il ne faut s'émouvoir que des réalités tangibles. Une campagne de presse succède à une autre. Le jeu des intérêts se poursuit ailleurs.

Au fond, si on regarde les choses d'un peu haut, l'atmosphère est plutôt à la détente... En tous cas il semble que les affaires d'Espagne se calment et Le Temps consacrait ces jours-ci un curieux éditorial aux possibilités d'entente entre Barcelone et le Général Franco, sans doute sous l'espèce d'une restauration monarchique. Puisse l'Espagne trouver un peu la paix. Les gouvernementaux ont senti que ce sont leurs excès même qui ont compromis leurs chances de victoire, ceci a permis un certain calme de leur côté et la montée au pouvoir d'éléments bien plus modérés. Ceux-ci ne pourront-ils trouver à traiter avec les chefs nationalistes qui doivent désirer éviter de nouvelles ruines et la poursuite d'une guerre qui tue l'Espagne ? En tous cas ce qui semblait il y a trois mois à peine une utopie et presque une aberration n'est plus impossible.

Si l'affaire d'Espagne s'apaise on peut espérer une détente plus profonde en Europe. Dieu le permette !  Il en est temps. Car rien n'est plus artificiel que cette lutte où nous nous épuisons. M. Lucien Romier le rappelait à très juste titre dans Le Figaro ces temps derniers. Ah ! On parle d'idéologies, mais l'Allemagne ne peut se passer de la Russie, ni la Russie de l'Allemagne, car leurs économies sont complémentaires... c'est ainsi. Dès qu'on quitte l'Europe on ne peut savoir comme le dessin en devient ferme dans l'esprit. « L'Ancien Monde », comme en Amérique, autrefois j'ai senti ce que signifiait ce terme ! Nous pouvons nous haïr, mais quand on franchit un Océan on a bien l'impression qu'il s'agit d'une querelle de famille. J'ai lu quelque part cette comparaison qui m'est restée dans la mémoire : l'Europe est comme une mer fermée, les vagues peuvent bien se dresser les unes contre les autres, elles n'en empêcheront pas la profonde unité.

Alors pourquoi ces fièvres. Il est déjà bien assez des intérêts et des difficiles problèmes hérités de la guerre sans que les opinions s'enfièvrent, sans qu'on se lance dans des croisades d'autant plus vaines que les mots pour lesquels on s'enflamme n'ont pas le même sens ici ou là. On se compromet pour des quiproquos.

La paix viendra au jour connu du Seigneur... Mais si cette paix « tranquillité de l'ordre » comme la définissent Saint Augustin et Saint Thomas n'est pas pour demain, s'il ne dépend pas de nous de l'établir, du moins un certain calme peut régner qui en serait l'avant coureur, et ce calme, si nous en étions comme des îlots dans la cité, ne se propagerait-il pas ?